“
Liberté, liberté chérie! ”
Chantée par les poètes, la liberté
est sans doute l'une des valeurs les plus importantes
que l'Europe ait données au monde.
Mais, aujourd'hui, en France, les
libertés s'étiolent. Elles sont trop
souvent confondues avec le laxisme; le poids de la
bureaucratie les menace d'asphyxie, et la pensée
magique de l'établissement tend à les
pervertir. L'autonomie des hommes et de la nation
s'en trouve ainsi progressivement réduite comme
un îlot submergé par la marée
montante. -
La reconquête de nos libertés
exige le retour d'un État protecteur, d'une
nation souveraine et la restauration des règles
de civilisation.
La caverne
Dans leur caverne, les petits hommes enchaînés
travaillaient dur, inlassablement. Ils n'avaient en
fait jamais rien connu d'autre que les parois de leur
sauvage demeure sur lesquelles se dessinaient leurs
ombres. N'ayant qu'une vague idée des formes,
ils ne connaissaient pas plus les contrastes et les
couleurs, leur univers semblait voué de toute
éternité à cette pénombre
environnante. Parce qu'ils avaient toujours tourné
le dos à l'entrée, les petits hommes
avaient cru que les pâles lueurs qu'ils percevaient
parfois provenaient du fond de la grotte. Un jour,
pourtant, l'un d'eux échappa à ses chaînes
et aperçut derrière lui une clarté
intense. Il entreprit de se diriger vers elle. Le
chemin fut long et difficile, mais bientôt la
lueur se fit plus vive et devint aveuglante; il sortit
de la caverne. La lumière du jour inonda son
visage, il comprit qu'il avait toujours vécu
dans l'erreur et l'illusion.
Enfin, il était libre.
Et nous, sommes-nous vraiment libres,
aujourd'hui, en France? Sommes-nous certains de n'être
point dans la caverne de Platon1? Question sacrilège
et absurde: “Vous prétendez que la France
n'est pas un pays de liberté! s'exclameront
certains. Mais jamais notre nation n'a connu aussi
peu de contraintes! ” Est-ce bien sûr?
Il faut se méfier des idées toutes faites
car, comme l'écrit Ernst Jünger, “l'esclavage
peut s'aggraver sensiblement lorsqu'on sait lui donner
les apparences de la liberté ”, et, ajoute-t-il,
“ l'acte de violence occulte est plus terrible
que la violence ouverte2 ”.
Il convient donc d'apprécier
le degré de liberté dont nous jouissons
autrement que par l'introspection. Un homme peut se
croire pleinement libre sans même savoir que
certaines libertés lui sont interdites, à
la manière des hommes de la caverne qui ignoraient
tout du vaste monde dont ils étaient privés.
Être libre, c'est avoir la capacité
d'agir sur le cours des choses, d'imprimer sa marque
personnelle et collective sur la vie du groupe. Aujourd'hui,
les libertés dont nous jouissons semblent limitées
à la conduite de notre propre existence. Nous
permettent-elles encore de peser réellement
sur l'évolution de la société?
On peut en douter, lorsqu'on songe aux libertés
politiques. En général, les Français
votent plusieurs fois par an. Ils ont ainsi fait basculer
des majorités de la droite à la gauche
et réci-proquement, mais en est-il résulté
un quelconque changement? Assurément non, tant
est grande la capacité de l'établissement
à amortir, comme un édredon, les effets
d'un scrutin. Mais, de cette façon, les apparences
sont sauves: dans notre société, on
peut “ tout faire ”, car ce que l'on fait
“ ne sert à rien ”.
Aussi est-on légitimement en
droit de se poser la question: disposons-nous réellement
aujourd'hui, en France, de toutes les libertés
auxquelles nous pourrions prétendre?
Le témoignage
de Tocqueville
Paradoxalement, la meilleure
réponse à cette question est celle d'Alexis
de Tocqueville, pourtant rédigée il
y a près d'un siècle et demi:
“Je vois une foule innombrable
d'hommes semblables et égaux qui tournent sans
repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits
et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme.
Chacun d'eux, retiré à l'écart,
est comme étranger à la destinée
de tous les autres: ses enfants et ses amis particuliers
forment pour lui toute l'espèce humaine [...].
S'il lui reste encore une famille, on peut dire du
moins qu'il n'a plus de patrie.
“ Au-dessus de ceux-là
s'élève un pouvoir immense et tutélaire,
qui se charge seul d'assurer leur jouissance et de
veiller sur leur sort. Il est absolu, détaillé,
régulier, prévoyant et doux. Il ressemblerait
à la puissance paternelle si, comme elle, il
avait pour objet de préparer les hommes à
l'âge viril; mais il ne cherche, au contraire,
qu'à les fixer irrévocablement dans
l'enfance [...}. Il prévoit et assure leurs
besoins, facilite leurs plaisirs, conduit leurs principales
affaires, dirige leurs industries, règle leurs
successions, divise leurs héritages; que ne
peut-il leur ôter entièrement le trouble
de penser et la peine de vivre?[...].
“ Après avoir pris ainsi
tour à tour dans ses puissantes mains chaque
individu, et l'avoir pétri à sa guise,
le souverain étend ses bras sur la société
tout entière; il en couvre la surface d'un
réseau de petites règles compliquées,
minutieuses et uniformes, à travers lesquelles
les esprits les plus originaux et les âmes les
plus vigoureuses ne sauraient se faire jour pour dépasser
la foule; il ne brise pas les volontés, mais
il les amollit, les plie et les dirige; il force rarement
d'agir mais il s'oppose sans cesse à ce qu'on
agisse; il ne détruit point, il empêche
de naître; il ne tyrannise point, il gêne,
il comprime, il énerve, il éteint, il
hébète et il réduit enfin chaque
nation à n'être plus qu'un troupeau d'animaux
timides et industrieux, dont le gouvernement est le
berger3. ”
Dans cette vision prophétique,
Alexis de Tocqueville donne une description saisissante
de notre société contemporaine. Or comment
introduisait-il son propos? En se demandant “
sous quels traits nouveaux le despotisme pourrait
se produire dans le monde ”. Il concluait d'ailleurs
en affirmant : “ J'ai toujours cru que cette
sorte de servitude, réglée, douce et
paisible, dont je viens de faire le tableau, pourrait
se combiner mieux qu'on ne l'imagine avec quelques-unes
des formes extérieures de la liberté
et qu'il ne lui serait pas impossible de s'établir
à l'ombre même de la souveraineté
du peuple. ” Nous y sommes!
Il est interdit d'interdire
Les maîtres de l'établissement, s'ils
respectent les formes apparentes de la liberté,
en ont une conception fort élastique qui sert
leurs desseins. Malgré un discours révérencieux
et incantatoire, leurs actes ne sont pas toujours
guidés par cette valeur fondatrice de notre
civilisation et de notre conception de l'homme. La
liberté constitue plutôt, à leurs
yeux, un instrument qu'on uti-lise, à la manière
des droits de l'homme, pour mener à bien des
projets idéologiques. Ils font donc grand cas
de la liberté quand elle sert leurs intérêts
et l'oublient volontiers quand elle les contrarie.
Ainsi brandissent-ils la liberté
comme un étendard lorsqu'il s'agit de mettre
en cause les valeurs traditionnelles de la nation
ou de la famille. N'est-elle pas alors l'arme idéale
capable de saper les normes, les mythes et les attaches
qui fondent notre identité? La voilà
devenue le glaive de la croisade lancée contre
les interdits moraux et les règles éthiques,
lesquels tombent un à un sous ses coups libérateurs.
Finies la “famille bourgeoise ” et ses
coutumes d'un autre âge. Finies les conceptions
surannées de l'honnêteté, du courage,
du travail. L'heure est à la “ libération
”: libération des moeurs, libération
des femmes, libération sexuelle, libération
des prisonniers. Ne sommes-nous pas dans la société
permissive, la société qui comprend
tout? “ Il est interdit d'interdire ”,
aimaient à crier sur les barricades les jeunes
bourgeois de Mai 68 qui jouaient à se faire
peur...
Peut-être. Mais alors pourquoi
ces mêmes libérateurs établissent-ils
par ailleurs des contraintes et des règles
de plus en plus tatillonnes ? Voilà le paradoxe:
le législateur qui assouplit le Code pénal
ou qui autorise l'avortement renforce dans le même
temps la réglementation concernant l'urbanisme
ou la conduite automobile.
Dès qu'il s'agit du domaine
des activités économiques ou sociales,
la liberté est jugée nocive. On imposera
donc l'égalité, on obligera à
la redistribution des revenus, on soumettra les Français
au joug des ministères et on fera marcher entreprises,
salariés et travailleurs indépendants
au rythme martial de l'orchestre des sous-chefs de
bureau, jouant de circulaires, d'arrêtés,
de contraventions et de mises en demeure.
A quoi peut mener ce mariage absurde
de laxisme et d'autoritarisme, sinon à une
forme feutrée d'asservissement collectif et
individuel? L'autoritarisme, quand il s'exerce dans
les domaines économique et social, soumet l'individu
à l'État. Quant au laxisme, appliqué
au domaine moral, il affaiblit les hommes en les rendant
dépendants de leurs instincts, de leurs caprices
ou de leurs vices.
Aussi convient-il de reconquérir
nos libertés. Premier impératif: rétablir
l'État dans ses fonctions légitimes.
Les trois sphères
Nous avons déjà
longuement examiné comment le totalitarisme
larvé, que nous apporte, dans ses wagons, le
train du cosmopolitisme, s'installe sournoisement
dans notre pays. Il est mis en oeuvre par un établissement
coupé du peuple qui a confisqué l'État
et l'utilise à son profit. Et, progressivement,
il réduit le champ de nos libertés:
des menaces pèsent sur l'éducation,
sur la liberté de conscience des enfants et
sur la neutralité de l'enseignement, sur la
justice aussi que gangrène une politisation
croissante et que paralyse la chape de plomb des lois
antiracistes. Même la liberté de recherche,
qu'elle soit historique ou scientifique, est en danger.
Quant à la liberté d'expression, elle
se réduit à mesure que croît le
pouvoir de l'argent et des lobbies sur les médias.
Hélas, le faire-part des petites
morts de nos libertés n'est pas terminé.
Dans les domaines économique et social, l'intervention
excessive de la bureaucratie étouffe les individus
et limite leur libre choix. Pour illustrer ce phénomène,
prenons l'image des trois sphères du professeur
Julien Freund4 . La première
sphère est celle du public, c'est-à-dire
celle de l'Etat, des collectivités territoriales,
des entreprises nationalisées: c'est le domaine
des interventions de la puissance politique. La sphère
personnelle, à l'opposé, est celle de
la vie intime de chacun; c'est, par excellence, l'espace
de la famille et celui des relations amicales.
Enfin, celle du privé se situe
entre les deux premières. Elle concerne tout
ce qui touche à la vie sociale en dehors des
initiatives et du contrôle publics: c'est le
terrain de l'économie privée, mais aussi
du monde associatif.
Dans les sociétés totalitaires
de type marxiste, la sphère du public englobe
pratiquement les deux autres: celle du privé,
puisqu'il n'y a pas d'activités collectives
en dehors de l'Etat et du parti, mais aussi le domaine
personnel, dans la mesure où le contrôle
politique s'exerce jusque dans la famille, notamment
par l'endoctrinement des enfants et les pressions
du voisinage.
Il est vrai qu'en France nous n'en
sommes pas là. Toutefois, la sphère
du public y empiète déjà largement
sur la sphère privée. Et les libertés
s'en trouvent menacées, car leur épanouissement
exige l'équilibre des trois sphères.
Du berceau à
la tombe
L'État-providence étend
sur la société ses innombrables tentacules:
il veut s'occuper de tous les citoyens et les prendre
en charge un à un du berceau à la tombe.
Étouffés par les contraintes et les
règlements, ceux-ci tombent dans une semi-servitude,
certes douillette, mais attentatoire à leur
condition d'hommes libres et à leur dignité.
-
Ainsi, lorsque l'État effectue
des prélèvements fiscaux ou sociaux,
par exemple, il ampute d'autant la marge de liberté
des individus. Si en effet l'argent est, selon l'adage,
de la “ liberté frappée ”,
toute ponction monétaire sur les personnes
réduit d'autant leur autonomie. Et à
l'autre bout du système, du côté
du versement des prestations, on constate, là
aussi, une réduction de la liberté des
individus, car toute aide bureaucratique a ses revers.
Lorsque l'État aide les Français à
se loger, il les prive d'une certaine liberté
de choix. Par exemple, l'appartement qui leur sera
attribué fera vraisemblablement partie d'un
grand ensemble, contrairement à ce qu'ils auraient
pu souhaiter.
Il en va de même pour la plupart
des interventions étatiques: la puissance publique
assure la gratuité de l'enseignement, mais
elle ne laisse pas aux parents le choix de l'école.
Dans la région Ile-de-France, elle prend en
charge une partie du coût des transports, mais
c'est une Carte orange qu'elle finance au bénéfice
des Parisiens, les incitant ainsi aux transports en
commun.
Certes, ces mesures ne sont pas forcément
injustifiées et notre propos n'est pas ici
de les contester en tant que telles, mais de montrer
que le développement de la société
d'assistance conduit l'État à se substituer
aux citoyens et à choisir en leurs lieu et
place ce qui est bon pour eux. Ces constatations vont
à l'appui de l'affirmation de Louis Pauwels:
“ Le taux de liberté dans une société
ne se mesure pas aux déclarations de son gouvernement
mais à la part que saisit l'État sur
le gain des gens. Or nous sommes en tête des
prélèvements obligatoires5 . ”
Ces atteintes aux libertés,
qu'elles se manifestent par le dirigisme économique
ou par un certain totalitarisme larvé, résultent
toutes d'une intervention excessive et intempestive
de l'autorité publique. On pourrait donc en
déduire hâtivement qu'il suffit de limiter
cette intervention pour que les libertés effectives
retrouvent la place qui leur revient. La réalité
est plus complexe car, à l'inverse, certaines
démissions de l'État dans les domaines
qui relèvent de sa souveraineté limitent
tout autant les droits des citoyens.
Avec coupoles et minarets
La montée de l'insécurité est,
à n'en point douter, une atteinte à
la liberté des Français. En effet, nos
compatriotes ne peuvent plus - alors que ce droit
leur est expressément reconnu - aller et venir
sans avoir à redouter une agression ni jouir
de leurs biens sans craindre de se les voir dérober.
Certains habitants des grandes villes se résignent
même à ne plus sortir le soir pour éviter
les mauvaises rencontres dans la rue ou dans les transports
en commun à l'heure où les loubards
y règnent en maîtres. Ils doivent cette
réduction très concrète de leur
liberté à l'attitude démissionnaire
de l'État qui, par laxisme, renonce à
faire respecter avec toute la rigueur nécessaire
les lois qui protègent les citoyens contre
la délinquance et la criminalité.
Ajoutons que, bien entendu, les libertés
ne sont pas sans limites. “ La liberté
des uns s'arrête là où commence
celle des autres ”, dit l'adage. C'est ainsi
qu'il n'est pas de liberté qui puisse s'exercer
contre l'intérêt vital de la communauté.
En cas de guerre, le citoyen n'est pas libre de déserter,
car une telle faculté s'exercerait à
l'encontre de la liberté collective de son
peuple. C'est d'ailleurs pourquoi l'article 4 de la
Déclaration de 1789 précise: “
La liberté consiste à pouvoir faire
ce qui ne nuit pas à autrui.” C'est à
la puissance publique de veiller au respect de ce
principe. Si l'État refuse d'effectuer les
arbitrages nécessaires, la liberté des
uns réduira celle des autres car, comme le
dit le professeur von Hayek, “ nous devons notre
liberté aux bornes de la liberté6”.
Aujourd'hui, le droit de grève,
exercé sans retenue par de petits groupes de
salariés qui paralysent des services publics
gigantesques, montre que chaque liberté a ses
limites. La liberté de faire grève des
employés de la SNCF ou d'Air Inter s'arrête
là où commence celle des millions d'usagers
d'aller et de venir. Et lorsque l'État refuse
de réglementer le droit de grève dans
les services publics, il autorise la liberté
des uns à bafouer celle des autres.
La question de la liberté du
culte se pose en termes analogues. C'est au nom de
cette liberté que certains approuvent la construction
de mosquées dans notre pays. Et beaucoup de
s'offusquer de l'opposition du Front national à
ces projets: “ Comment peut-on se mettre en
travers d'un droit aussi fondamental que celui de
disposer d'un lieu de culte ? ” Des emplacements
de prière existent déjà en France,
mais ce qu'on envisage aujourd'hui de construire,
ce sont des mosquées-cathédrales, avec
coupoles et minarets, en totale dérogation
aux règles d'urbanisme et en rupture avec les
paysages de nos villes. Là est le problème:
couvrir notre pays d'édifices de ce type, c'est
islamiser la France et organiser la destruction de
notre identité nationale. Or le respect de
cette identité est pour les Français
un droit fondamental.
La liberté de culte pour les
immigrés s'oppose donc à la liberté
des Français de rester fidèles à
eux-mêmes. Refuser de voir la réalité
dans sa globalité et ne prendre en compte que
les seuls droits des immigrés, comme le font
trop souvent tant l'État que les collectivités
locales, c'est méconnaître les droits
des Français et même faire reculer encore
leurs libertés. Il est pourtant évident
que le maintien de la liberté de culte et le
respect de l'identité française exigent
que les musulmans soient à nouveau marginaux
en nombre dans notre pays.
Excès d'étatisme? Manque
d'État ? Dans les deux cas, nos libertés
sont en cause. Il convient donc de dégager
la puissance publique de ses activités autoritaires
dans les domaines économique et social et de
la rétablir dans la plénitude de ses
responsabilités souveraines et de ses pouvoirs
régaliens. L'ordre et la sécurité
sont les conditions premières de la liberté.
La tâche principale de l'État est de
les assurer. Un point, c'est tout.
Identité et libertés
Pour nécessaire
qu'elle soit, cette remise en ordre n'est pas suffisante.
Car les libertés ne sont pas désincarnées
et abstraites: c'est à travers les communautés
qu'elles existent.
Un mur s'écroule à l'Est
sous les coups de boutoir des peuples opprimés.
De tous les horizons de l'Europe asservie se sont
élevés des cris d'espoir, et la liberté
semble réapparaître à Berlin comme
à Prague, à Riga comme à Varsovie,
à Bucarest et à Sofia. Pourtant, que
l'on ne s'y trompe pas, si une ère nouvelle
s'ouvre pour l'Europe, nous la devons d'abord à
la volonté des peuples. Ce que revendiquent
les Européens de l'Est, c'est évidemment
plus d'autonomie personnelle, moins de contraintes
individuelles, mais ils aspirent aussi, avec non moins
d'ardeur, à recouvrer leur autonomie collective
en tant que peuple. Car les libertés telles
que les conçoit notre civilisation européenne
n'ont pas de sens en dehors du cadre communautaire.
Si la liberté est bien une
invention, une re-création datée du
XVIIIe siècle, les libertés, quant à
elles, ne doivent rien à l'ère du “progrès”
qui s'ouvre alors. A vrai dire, nos libertés
sont à proprement parler constitutives de notre
patrimoine européen et remontent aux origines
mêmes de notre civilisation. Elles n'ont pas
été décrétées un
beau jour par quelques esprits éclairés,
mais elles sont l'ouvre des peuples d'Europe qui ont
lutté sans relâche pour les faire prévaloir
tout au long de leur histoire multimillénaire.
L'idéal des libertés
conquises au fil des siècles par les Européens
ne nous vient pas seulement d'Athènes et de
Rome: il a été vivifié par l'exigence
de liberté individuelle qui présidait
à la vie communautaire germanique et scandinave,
en cela très proche de celle du monde celte.
N'est-ce pas notre conception de la liberté
qui s'exprimait déjà à travers
cette fière maxime des Normands: “ Chacun,
chez nous, est seigneur de lui-même ”?
C'est aussi ce qu'affirmait, quelques siècles
plus tard, Montaigne lui-même lorsqu'il écrivait
que la liberté, c'est “ pouvoir toute
chose sur soi7”.
Pour les peuples européens,
les libertés se comprennent essentiellement
dans le cadre du groupe. Chez les Indo-Européens,
c'est par la naissance, comme le notait le professeur
Haudry8, qu'on appartient au corps social et qu'on
est à la fois “ membre du groupe ”,
“ ami ” et “ homme libre”.
De même, chez les Grecs et les Romains, sont
libres ceux qui “ naissent de la souche ”.
Les libertés concernent avant tout ceux qui
sont nés du groupe, ce qui signifie qu'elles
n'ont de sens qu'au regard de la communauté.
Cette idée ancestrale a été pérennisée
par le christianisme: pendant toute la période
médiévale, les libertés en Europe
ont toujours été le résultat
d'un audacieux équilibre entre la reconnaissance
de l'individu et la nécessité du groupe.
Aussi ne peut-on prétendre
à la fois œuvrer pour les libertés
et s'évertuer dans le même temps à
détruire et la culture qui les a forgées
et la nation nécessaire à leur épanouissement.
Là encore, le retour de nos libertés
suppose le maintien de notre patrie. Identité
et liberté sont inséparables.
Soljenitsyne et le clochard
L'épanouissement des libertés implique
également l'existence d'une discipline individuelle.
L'homme libre n'est pas celui qui s'affranchit de
toutes les règles. S'il s'engage dans ce chemin,
il court le risque d'être livré au chaos
de ses propres instincts et de devenir l'esclave de
ses caprices. Comme l'écrit Yvan Blot, “
la liberté de l'homme demeure un effet, avant
tout une disposition intérieure de l'âme:
Soljenitsyne en prison était plus "libre"
que tel clochard vivant soi-disant en toute liberté
mais esclave de son caprice quand ce n'est pas de
la drogue ou de l'alcool9”.
La liberté permissive détruit
la liberté individuelle. Ce qui ne l'empêche
pas d'avoir de nombreux adeptes, notamment dans l'intelligentsia
de gauche qui ne semble pas comprendre que cette pseudo-liberté
conduit à l'absurde et au drame.
Le Parlement européen s'est
saisi du problème des “transsexuels”
et, dans une résolution votée par une
large majorité, il a adopté le principe
de la liberté de changer de sexe. A ce nouveau
droit s'est d'ailleurs ajouté celui de pouvoir
bénéficier du remboursement de la Sécurité
sociale pour toutes les opérations chirurgicales
nécessitées par l'exercice de cette
nouvelle “liberté”. Cette audacieuse
prise de position de l'Assemblée de Strasbourg
ouvre-t-elle un nouvel espace de liberté? Sans
doute, si l'on se réfère à la
conception permissive de l'établissement! Cependant,
après réflexion, comment ne pas voir
dans cette décision le résultat risible
d'une mauvaise conception de la liberté?
Par ailleurs, le développement
inquiétant de la consommation de drogue dans
notre pays est bien le symbole terrifiant de la liberté-licence.
Le drogué est par excellence l'individu dégagé
de tout interdit, de tout tabou, qui entend ne se
reconnaître aucune discipline et qui finit par
devenir l'esclave de son vice. Est-ce un hasard si
la drogue se répand en France et en Europe?
La société libérée, c'est
la perte des libertés!
Les disciplines de civilisation
Aux origines, il n'y avait pas de liberté.
Les hommes des temps reculés, qui vivaient
en bandes, étaient rien moins que libres; de
même, aujourd'hui, l'homme des tribus sauvages
dispose d'une capacité d'action, de pensée
et de choix, bref, d'une liberté beaucoup plus
limitée que celle de l'homme européen.
On ne naît pas libre, c'est une évidence.
Le petit enfant reste longtemps dans la dépendance
de ses parents. Et celui qui, comme le petit Victor,
l'enfant sauvage du docteur Itard, ne bénéficie
pas du soutien d'un groupe civilisé demeure
à vie asservi à ses instincts. “L'homme
ne s'est pas développé dans la liberté,
écrit le professeur von Hayek, la liberté
est le produit de la civilisation […] la liberté
a été rendue possible par le développement
graduel de la discipline de civilisation qui est en
même temps la discipline de liberté10
”
C'est en effet grâce à
la civilisation et à ses règles que
s'est progressivement élargi le champ des libertés
concrètes: celles de l'individu par rapport
au déterminisme de la condition sauvage, par
rapport à l'arbitraire du plus fort, celles
du groupe sur le monde et sur les autres communautés
qui cherchaient à l'asservir.
Aussi les libertés sont-elles
d'autant plus étendues que s'affirment les
règles de civilisation. En brisant ces normes,
on risque de retomber dans l'anarchie et de se rapprocher
de l'état sauvage et de la servitude. Lorsque
le prestige d'une civilisation se ternit, il se produit
un affaiblissement sournois des libertés.
Aussi faut-il, pour défendre
la liberté, rétablir ces règles
et restaurer leur autorité. C'est une lutte
de tous les instants, car une civilisation naît
de la volonté de dépassement qui anime
un peuple. Or, dans ce domaine, rien n'est jamais
acquis. Comme nous le rappelle Arnold Gehlen, “
les tendances à la décadence sont toujours
naturelles ”.
Les libertés - il faut s'en
convaincre - sont d'abord une conquête collective.
Maurras le disait: “ Les libertés ne
se donnent pas, elles se prennent11. ”
Le travail du pianiste
La liberté doit être aussi pour tout
homme une conquête individuelle, car elle est
non pas un cadeau de la nature, mais une simple potentialité.
Il importe donc que chacun la développe autant
que sa volonté le lui permet. Le pianiste au
sommet de la maîtrise de son art est libre devant
son piano, car il peut en tirer tous les sons et toutes
les mélodies qu'il désire. Mais cette
liberté, il ne l'a acquise qu'au prix d'un
travail exigeant et d'une discipline de fer.
L'homme libre est celui qui a su se
construire une personnalité. Les héros,
exemples mythiques de la mémoire de notre civilisation,
ont tous en commun cet idéal de la maîtrise
de soi, qu'il s'agisse du chevalier du Moyen Age,
du gentleman anglo-saxon ou de l'honnête homme
du XVIIe siècle.
Actuellement s'opposent les deux conceptions
antagonistes de l'épanouissement personnel:
celle de la “ maîtrise de soi ”
et celle de la “ réalisation de soi ”.
La société molle d'aujourd'hui propose
à l'homme de se réaliser lui-même,
c'est-à-dire de se laisser aller à ses
pulsions, à ses instincts, à ses désirs
et, pour y parvenir, de rejeter toute contrainte:
la “ pleine liberté ”, dans ce
contexte, c'est le retour à l'état de
nature.
L'idéal de la maîtrise
de soi est au contraire celui de la formation d'une
personnalité qui transcende l'état naturel.
Il exige volonté, effort, en un mot, caractère,
mais, à celui qui l'adopte, il offre la liberté,
celle définie par le proverbe prussien: “
Être libre, c'est faire ce que l'on doit. ”
La liberté est alors conçue comme le
résultat d'un accomplissement personnel impliquant
le sens du devoir et des responsabilités.
Or, aujourd'hui, ces notions s'estompent.
En matière pénale, la doctrine et la
pratique diluent la responsabilité des criminels
et des délinquants: “ N'oublions pas
qu'ils sont aussi victimes de la société
”, nous dit-on. Mais comment ne pas voir qu'une
telle conception met en cause l'idée même
de la liberté de l'homme?
De même, la réforme du
statut de la fonction publique de 1983 procède
à une innovation fort symptomatique: dans le
texte de la nouvelle loi, les garanties offertes aux
fonctionnaires sont énoncées avant les
obligations auxquelles ils sont soumis et cela contrairement
aux usages anciens qui plaçaient toujours la
liste des devoirs avant celle des droits. A l'école,
l'enseignement valorise à l'excès la
spontanéité et la créativité
de l'élève aux dépens de l'apprentissage
des disciplines culturelles. La pédagogie non
directive est incapable de former des personnalités
structurées.
Dans un autre registre, les journalistes
refusent de voir leur liberté contrebalancée
par un code de déontologie et entendent apprécier
eux-mêmes leur responsabilité. Mais il
n'est pas de liberté sans sanctions: et où
se situent dès lors celles auxquelles devrait
normalement les exposer l'exercice de leur métier?
Obligations, devoirs, déontologie,
la liberté ne peut s'épanouir qu'avec
le retour du sens des responsabilités.
L'homme de caractère
“ Face à l'événement,
c'est à soi-même que recourt l'homme
de caractère. Son mouvement est d'imposer à
l'action sa marque, de la prendre à son compte,
d'en faire son affaire. Et, loin de s'abriter sous
la hiérarchie, de se cacher dans les textes,
de se couvrir des comptes rendus, le voilà
qui se dresse, se campe et fait front. Non qu'il veuille
ignorer les ordres ou négliger les conseils,
mais il a la passion de vouloir, la jalousie de décider.
Non qu'il soit inconscient du risque ou dédaigneux
des conséquences, mais il les mesure de bonne
foi et les accepte sans ruse. Bien mieux, il embrasse
l'action avec l'orgueil du maître, car, s'il
s'en mêle, elle est à lui ; jouissant
du succès pourvu qu'il lui soit dû et
lors même qu'il n'en tire pas profit, supportant
tout le poids du revers non sans quelque amère
satisfaction. Bref, lutteur qui trouve au-dedans son
ardeur et son point d'appui, joueur qui cherche moins
le gain que la réussite et paie ses dettes
de son propre argent, l'homme de caractère
confère à l'action sa noblesse; sans
lui morne tâche d'esclave, grâce à
lui jeu divin du héros12. ” Cette
belle peinture de l'homme de caractère brossée
par le général de Gaulle montre bien
que la liberté est le produit de la discipline
personnelle et du sens des responsabilités.
Aussi convient-il de ne pas se laisser abuser par
l'idée même de liberté et de ne
pas confondre la conception permissive de l'établissement
avec celle exigeante que nous prônons. L'une
renvoie à la jouissance, l'autre fait appel
à la volonté et à l'effort. L'une
procède d'une vision hédoniste de l'existence,
l'autre se rattache à une volonté de
dépassement. L'une conduit à la dépendance
et à une servitude insidieuse, l'autre à
l'autonomie et à la capacité d'agir.
L'une est le produit du déracinement, l'autre
se nourrit aux sources de notre civilisation.
La flamme de notre survie
Les libertés sont l'un
des principes fondateurs du génie européen.
Elles découlent donc directement des valeurs
de notre culture. Que celle-ci s'affaiblisse et nos
libertés s'éteindront.
Soyons donc intransigeants: le combat
pour nos libertés, c'est le combat pour notre
peuple, notre nation et notre civilisation. La liberté,
c'est la flamme de notre survie.
1. Platon, la République, livre
VII, Gamier, rééd.
2. Ernst JUnger, Journal, IV, 6 septembre
1945.
3. Alexis de Tocqueville, De la démocratie
en Amérique, Gallimard, rééd.
1961.
4. Julien Freund, l'Essence du politique,
Sirey, 1965.
5. Le Figaro-Magazine, 16 septembre
1989.
6. Friedrich von Hayek, Droit, Législation
et Liberté, PUF, 1983.
7. Montaigne, Essais, III, xii, Gallimard.
8. Jean Haudry, les Indo-Européens,
PUF, 1981.
9. Yvan Blot, les Racines de la liberté,
Albin Michel, 1985.
10. Friedrich von Hayek, op. cit.
11. Charles Maurras, in l'Action française,
1908.
12. Charles de Gaulle, le Fil de l'épée,
Pion, 1971.